Résumé : Jevick est le fils du plus riche marchand de poivre de l’Archipel du Thé. Bercé toute sa vie par les légendes et les contes de la lointaine Olondre, un pays où les livres sont aussi communs qu’ils sont rares sur son île, il touche enfin, à la mort de son père, au bonheur de visiter cette contrée magique et remplie de bibliothèques afin d’y perpétuer le commerce familial.
Ses désirs semblent comblés jusqu’à ce que, au lendemain du rabelaisien Festival des Oiseaux, qui rythme la vie religieuse en Olondre il se découvre hanté par un ange.
Edition : Les Editions de l’Instant
Mon avis : Les éditions de l’instant sont une toute jeune maison d’édition qui, courant de l’année dernière, se sont lancés dans un crowfunding pour les aider à démarrer. Au vu des publications annoncées, dont ce livre de Sofia Samatar, j’avoue avoir décidé assez rapidement de participer au financement participatif dont en voici justement la première publication. Il est à noter que ce récit à gagner de nombreux pris dont le World fantasy Award 2014 ainsi que le British Fantasy Award. Concernant la couverture, je la trouve vraiment sympathique.
Jevik est le fils d’un riche marchand de poivre qui voit son père partir une fois par an vendre sa production en Olondre. Ce pays va au fil du temps le fasciner, encore plus après avoir travaillé auprès d’un percepteur venant de là-bas qui va lui faire découvrir la magie des mots. Son premier voyage va alors tout changer et il va se retrouver, sans le vouloir, au milieu d’un pays qui se déchire et devenir un enjeu principal. Je dois bien admettre qu’une fois la dernière page tournée, je vais avoir du mal à vraiment retranscrire mon ressenti concernant ce livre. J’ai passé un excellent moment de lecture et je me suis vraiment senti happé par cette histoire romanesque et l’évocation qui ressort de l’aspect poétique du récit. Je me suis retrouvé clairement fasciné par ce pays imaginaire, complètement inventé par l’auteur, ainsi que par les évocations et les réflexions qu’elle construit de façon ingénue et soignée ; le tout sur un rythme posé, permettant ainsi de développer l’histoire de façon fluide et efficace. Le soucis vient de pouvoir pleinement vous conseiller ce livre, car autant si le lecteur se laisse transporter par ce que construit l’auteur et la magie qui s’en dégage, il y a de grandes chances qu’il se laisse alors facilement emporter, autant je pourrai comprendre que si la magie n’opère pas, il s’ennuie avec ce récit. A chacun de voir ce qu’il en pense et ce qu’il attend de cette oeuvre.
Comme je l’ai dit, le premier point qui m’a fasciné c’est la construction de l’univers qui est mis en place ici par l’auteur. Outre le fait qu’on quitte le monde type médiéval qu’on retrouve régulièrement, pour un univers qui m’a paru plus oriental/africain, c’est surtout le fait que l’ensemble sort clairement de l’imagination débordante et fascinante de l’auteur. Je ne dis pas qu’elle a tout inventé, je me doute bien qu’elle a dû se baser parfois sur des éléments bien précis, mais je parle bien de la construction de du monde dans sa totalité qui offre ainsi un univers totalement fictif à la fois cohérent, hypnotique et d’une incroyable beauté dépaysant clairement le lecteur, même dans ces passages les plus troubles et les plus sombres. Mais c’est surtout dans la présentation d’Olondre que l’auteur se révèle clairement orignal, offrant ainsi deux visions de ce pays. Dans une première partie on découvre Olondre à travers les nombreux livres que lit Jevick, on aperçoit ainsi un pays plein d’aventures, de mystères, de beauté et de poésie comme peut le proposer l’art. Mais cette vision devient ainsi mise à mal par le premier voyage de notre héros qui va percuter de plein fouet la vérité. Cela n’enlève en rien la beauté d’Olondre mais lui offre alors plutôt un aspect plus réel, plus sauvage, loin du rêve d’enfant que visualisé Jevick, où les conflits se mélangent par exemple à l’intensité de la vie et la folie douce. C’est dans cette seconde partie qu’il gagne, je trouve, tout son intérêt, entre splendeur et faille et donne clairement envie de le visiter, de le découvrir. Le reste de l’univers est tout aussi captivant, que ce soit concernant les mythes, les traditions, les religions ou encore les aspects fantastiques, s’avèrent passionnant à découvrir et possédant une atmosphère vivante et des plus envoutante.
Sofia Samatar ne nous propose pas non plus qu’un simple voyage exotique, elle nous offre aussi de nombreuses lignes de réflexions et de nombreuses problématiques intéressantes, qui vont ainsi apporter un niveau de densité et de complexité supplémentaire au récit. Le premier point vient, d’une certaine façon, de la déclaration d’amour que fait l’auteur au monde des livres, leur importance que ce soit aussi bien dans sa capacité à faire rêver que dans sa capacité d’apprentissage. Sauf que voilà rien n’est aisé, une dualité se dégage, une dichotomie, que ce soit aussi bien dans le « rôle » de la littérature que dans l’ensemble des questions qui sont soulevées ici. Des livres qui peuvent être à la fois la délivrance et la condamnation, selon les différents points de vues et les différences culturelles. En effet, c’est aussi ce qui rend cette intrigue intéressante, la confrontation de notre héros face à de nombreuses différences aussi bien culturelles qu’au niveau du langage. D’ailleurs le langage prend une forme importante ici tant le héros s’enorgueilli de sa connaissance de la langue, mais va très vite se rendre que savoir communiquer ne vient pas obligatoirement que du « parlé ». L’auteur nous offre aussi une réflexion intéressante sur la religion, Olondre étant en pleine lutte de religion entre la nouvelle, qui bannit tout ce qui est mystique, et l’ancienne qui base sa croyance sur l’importance des anges. Un combat que notre héros va subir de plein fouet et en être la pièce centrale sans le vouloir. Autre point encore soulevé, la différence de civilisation entre Jeveck, qui vient de l’Archipel du Thé où tout repose sur la tradition orale, et Olondre ou l’écrit et les bibliothèques sont plus que présentes, malgré une tradition de conte encore bien présente. Ces différences, ces dualités ne sont pas sans rappeler, à mon avis, l’époque de la colonisation avec les nombreux changements qui sont survenues ainsi que les nombreuses incompréhensions et simplifications culturelles.
Concernant les personnages, ils restent finalement assez classiques dans leurs constructions, avec par exemple Jevick, jeune adolescent qui va suivre un voyage initiatique et va évoluer par la force des choses et des rencontres qu’il va faire pour en devenir plus mature. C’est aussi un homme hanté par ce qu’il est, ce qu’il peut devenir et ce qu’il va accomplir. Mais voilà, malgré ce sentiment cela ne les empêchent pas de se révéler vraiment solides et accrocheurs dans leurs aventures, leurs changements, leurs péripéties. Ils ne manquent pas non plus de complexités, possédant aussi leurs forces et leurs faiblesses. C’est ainsi qu’on se retrouve emporté par la métamorphose du héros passant finalement du statut d’observateur à celui, d’une certaine façon, d’acteur. Mais surtout l’intérêt principal du récit vient que Jevick n’est pas un héros qui va, par lui-même, tout changer, il est plus la pièce centrale d’un bouleversement. D’ailleurs cela se ressent aussi clairement dans la conclusion, que j’ai trouvé clairement réussie, mais qui n’offre pas une fin claire et précise avec les gagnants d’un côté et les perdants de l’autre. Tout le monde est gagnant et perdant à la fois d’une certaine façon.
Malgré toutes les qualités que possède cette oeuvre j’ai trouvé tout de même certains points légèrement frustrants comme certaines tergiversations qui prenaient un peu trop d’ampleur, ou encore certaines fois l’auteur cherche un peu trop à en faire dans les descriptions selon moi. Au final rien de non plus trop gênant tant ce livre se révèle véritablement fluide, aérien et magnifique. Il faut dire que l’on sent bien l’amour des mots de l’auteur tant le récit parait maîtrisé, juste, sans chercher à trop en faire ou à plonger dans trop de fioritures. Dans tous les cas je lirai avec grand plaisir d’autres de ses écrits.
En Résumé : Un Etranger en Olondre m’a offert un excellent moment de lecture, proposant un récit qui va se révéler poétique, soigné et fascinant à découvrir. L’univers que construit l’auteur du début à la fin s’avère captivant à découvrir, permettant à l’auteur de jouer pleinement avec son imagination, nous happant rapidement dans son monde et nous dévoilant une Olondre envoutante et dépaysante, donnant envie clairement d’en apprendre plus. Mais l’auteur ne cherche pas non plus qu’à nous faire voyager, elle développe des problématiques et des réflexions intelligentes et bien menés que ce soit sur le langage, la religion ou encore cette ode à la littérature qu’elle propose. Au milieu de tout cela les personnages, qui certes se révèlent classiques dans leurs constructions, ne manquent pas de se révéler solides et entrainants dans leurs péripéties. Je regretterai peut-être juste quelques tergiversations un peu longues ou bien encore un sentiment que l’auteur veut un peu trop en faire, mais franchement rien de gênant tant j’ai été emporté par ce récit et cette plume maîtrisée, magique et envoutante. Maintenant à chacun de se faire son avis car autant je peux comprendre que comme moi, si on se laisse emporter par ce livre poétique, on peut se retrouver facilement happé, autant si l’alchimie ne marche pas je pense qu’on peut s’y ennuyer. En tout cas pour moi une excellente lecture et je lirai sans soucis d’autres écrits de l’auteur.
Ma Note : 8,5/10