sovokRésumé : Moscou, dans un futur en retard sur le nôtre. Manya et Vinkenti sont deux urgentistes de nuit qui circulent à bord de leur ambulance volante de classe Jigouli. La Russie a subi un brusque infarctus politique, entraînant le pays tout entier dans une lente agonie économique et une mort clinique quasi certaine. Le duo d’ambulanciers est donc le témoin privilégié de la dégradation des conditions de vie des Russes. Surtout que leurs propres emplois sont menacés par une compagnie européenne qui s’implante à Moscou sans vergogne.

Edition : Les Moutons Électriques

 

Mon Avis : Ce livre n’a pas fini dans ma PAL par hasard, j’avais déjà été fasciné par le premier roman de l’auteur, Wastburg (ma chronique ici), qui offrait un récit de Fantasy choral avec une intrigue originale, dans une ville haute en couleurs et à la découvertes de personnages efficaces. C’est donc sans surprise que quand j’ai vu que l’auteur publiait un nouveau roman, je l’ai rapidement fait rentrer dans ma bibliothèque. Il faut aussi avouer que je trouve la couverture, illustrée par Prince Gigi, superbe dans son côté futuriste soviétique.

Contrairement à Wastburg, qui nous proposait de suivre un personnage différent par chapitre, avec Sovok l’auteur revient à une narration plus « classique » on va dire. On se retrouve ainsi à suivre Méhoudar, en galère et à la rue, qui décide de tenter sa chance en tant qu’ambulancier. Il va se retrouver à faire équipe avec Manya et Vikenti, à sillonner les rues de Moscou en poste de nuit. D’intrigue on va très vite se rendre compte qu’il n’y en a pas vraiment, il y a bien un fil rouge qui sert de léger conducteur à l’ensemble, mais rien qui se révèle épique ou haletant. Vous vous dites alors que ce roman n’a finalement que peu d’intérêt alors, et pourtant ce serait une erreur, car Sovok propose finalement un récit que j’ai trouvé terriblement efficace, entrainant et offrant son lot de réflexions. En effet l’absence d’une intrigue principale fait finalement que le lecteur se consacre alors pleinement à ce qu’il considère normalement comme secondaire et se retrouve ainsi emporté que ce soit aussi bien par les personnages, leurs interactions, que par cette ville et ce pays qui nous sont présentés au fil des pages.

Car oui comme son précédent roman, qui offrait à la ville un rôle important, ici la ville de Moscou se révèle être aussi un élément central de central, ou plus précisément la Russie dans son ensemble. Alors certes elle n’a pas autant d’influence que pouvait en avoir Wastburg, mais elle est imprégnée dans chacun des personnages, on en sent l’influence à travers chacun. Un pays en pleine perte de vitesse, au bord de la rupture, complètement gangréné que ce soit de l’intérieur par la corruption, comme de l’extérieur par une Europe qui vient grappiller les derniers reste d’une contrée à l’agonie. Être au plus près de nos trois héros et les différentes rencontres qu’ils font nous dévoilent ainsi un peuple qui est loin de se laisser aller, car même s’il connait la misère, le manque d’énergie et la faim, les magouilles et les pots de vins sont toujours présents, au cœur de leur culture. Malgré que tout le monde râle, chacun arrive à s’en sortir d’une certaine façon. On se retrouve ainsi plongé dans un futur où le passé et la nostalgie sont encore bien présents dans chacun des protagonistes ; un décalage réussi et efficace qui offre aussi régulièrement son lot d’humour et de légèreté, évitant ainsi au livre de trop tomber dans le misérabilisme. Mais l’auteur ne se contente pas non plus d’être au plus près de la population, il nous offre aussi une vision plus large que ce soit du point de vue  de la société, mais aussi de la politique qui n’est que manipulation et violence, ou encore offrant une critique acerbe sur le milieu médical, et aussi sur la « paperasserie » qui n’est pas sans rappeler notre époque actuelle. Au final un univers qui oscille entre décadence et lumière, offrant de nombreuses réflexions sur les causes de la dégradation et qui donne vraiment envie d’en apprendre plus.

Concernant les personnages, là aussi l’auteur s’en sort parfaitement bien, nous dévoilant ainsi des héros qui ne manquent pas de profondeurs, se révélant souvent soignés et passionnants à découvrir, tout en restant humains avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs besoins et leurs envies. On se retrouve ainsi rapidement à s’attacher à chacun d’entre eux, que ce soit aussi bien les trois héros qu’on suit du début à la fin, comme chaque personnage secondaire que l’on découvre, à travers leurs galères, leurs souffrances et leurs problèmes. Chacun d’entre eux se révèle sensible et touchant dans son envie d’avancer, de se présenter toujours fier de ce qu’il est, que ce soit dans le meilleur comme dans le pire. On découvre ainsi au fil du récit un panel de personnage hétéroclite, acerbe et pittoresques que ce soit Méhoudar l’ancien militaire qui cherche à s’en sortir, Manya médecin qui ne semble posséder qu’un simple diplôme de vétérinaire ou bien encore Vikenti le syndicaliste désabusé, on s’accroche à chacun d’entre eux tant on se retrouve, au moins en partie, à travers eux. Surtout que l’auteur a un don pour arriver à les rendre rapidement, en quelques lignes à peine, attachants, avec leurs qualités et leurs défauts, tout en nous faisant réfléchir sur des sujets sérieux comme par exemple le rejet de la différence ou encore la pauvreté.

J’aurai par contre un regret concernant ce récit, c’est qu’une fois la dernière page tournée, certes on s’est rapidement rendu compte qu’il ne s’agissait qu’une tranche de vie de Moscou et non pas une histoire balisée avec introduction, développement et conclusion, mais voilà je me suis tout de même senti frustré de ne pas en apprendre plus. Surtout que l’auteur laisse de nombreux fils d’intrigue ouvertes à l’imagination du lecteur. Alors, rien de bien gênant non plus, c’est un choix clair de l’auteur, mais bon je ne pouvais m’empêcher de ressentir une légère déception. Concernant la plume de l’auteur elle se révèle efficace, claire et entrainante, nous plongeant avec plaisir dans cette Russie aux visages hétéroclites qui donne clairement envie d’en apprendre plus. Au final avec ce nouveau roman Cédric Ferrand confirme tout le bien que je pensais de ses écrits et j’en lirai d’autre sans soucis.

En Résumé : J’ai passé un très bon moment de lecture avec ce roman qui nous propose de découvrir une tranche de vie de trois personnages urgentistes et pendant une semaine ; le tout dans une Russie qui agonise lentement. Ici, pas de véritable intrigue dans son côté classique, mais une peinture de Moscou qui se révèle efficace et passionnante à découvrir avec son aspect mélange de futurisme et de nostalgie, mais aussi son lot de réflexions. Une Russie pleine de nostalgie ou la débrouillardise est de mise et qui donne envie d’en découvrir plus. Les personnages se révèlent travaillés, denses, humains et attachants avec leurs bons comme leurs mauvais côtés. On est ainsi rapidement happé par cette image que nous décrit l’auteur qui oscille avec réussite entre humour, tragique et espoir dont mon seul regret est finalement que la fin laisse de nombreuses perspectives ouvertes, ce qui m’a paru légèrement frustrant. La plume de l’auteur se révèle entrainante, captivante et décalé dans sa façon de nous présenter son récit, offrant juste ce qu’il faut d’ironie et de cynisme pour rendre son histoire prenante et intelligente. Je lirai sans soucis d’autres écrits de l’auteur.

 

Ma Note : 8/10

 

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