Résumé : « Elle plaque la feuille sur la table, face vierge exposée, et la plie. Intrigué, j’arrête de pleurer pour l’observer. Ma mère retourne le papier et le plie de nouveau, avant de le border, de le plisser, de le rouler et de le tordre jusqu’à ce qu’il disparaisse entre ses mains en coupe. Puis elle porte ce petit paquet à sa bouche et y souffle comme dans un ballon.
“Kan, dit-elle. Laohu.” Elle pose les mains sur la table, puis elle les écarte.
Un tigre se dresse là, gros comme deux poings réunis. Son pelage arbore le motif du papier, sucres d’orge rouges et sapins de Noël sur fond blanc.
J’effleure ce qu’a créé Maman. Sa queue bat et il se jette, joueur, sur mon doigt… »
Edition : Le Bélial’
Mon Avis : De Ken Liu j’avais précédemment lu deux nouvelles, Faits pour être Ensemble qui était initialement publié dans le Bifrost consacré à Poul Anderson et Mono no Aware qui était initialement publié dans le Galaxie(s) n°25. À travers ces deux textes, l’auteur a réussi à me convaincre d’en découvrir plus de sa bibliographie, offrant des récits soignés, humains et intelligents. C’est donc sans surprise, quand j’ai appris qu’une recueil de nouvelles de l’auteur était publié, que je l’ai rapidement fait entrer dans ma PAL. Il faut dire aussi que la couverture, illustrée par Aurélien Police, se révèle magnifique et donne tout autant envie de le lire. Ce livre est ainsi composé de 19 nouvelles, dont les deux déjà lu.
Renaissance : Ce texte nous dévoile un avenir où l’humanité, après une guerre sanglante avec une race alien, vit maintenant en quasi symbiose avec elle. Une nouvelle que j’ai trouvé très réussi, nous offrant une réflexions efficace sur le travail et l’importance que l’on donne à la mémoire, mais aussi sur l’influence qu’elle peut avoir sur notre façon d’évoluer et d’avancer. Un véritable travail de fond sur ce qui, finalement nous définit, bien porté par un héros efficace et travaillé. Je trouve juste légèrement dommage que l’ensemble soit finalement un peu trop, par moment, prévisible, mais rien de bien bloquant non plus.
Avant et après : Ce très court texte se révèle être un véritable travail stylistique, puisque l’ensemble est écrit en une seule phrase, mais qui surtout arrive à ne pas alourdir le récit, voir ennuyer ou perdre le lecteur. Le travail de fond, en à peine deux pages se révèle aussi vraiment intéressant et soigné, mais je vous laisse le découvrir pour éviter de trop spoiler.
Les Algorithmes de l’amour : Cette nouvelle nous fait suivre Elena, qui est créatrice de poupées réalistes et avec un processeur leur permettant d’interagir et d’apprendre. Je préfère ne pas trop en dévoiler pour éviter de trop vous spoiler, mais l’auteur offre ici un texte vraiment réussi, premièrement à travers son travail de réflexion sur la conscience, voir l’intelligence, mais aussi sur notre réalité. Le sens point bien du travail de construction des personnages. En effet les héros se révèlent ici profondément humains, touchants et poignants, à travers les nombreux drames qui vont survenir et qui ne laissent pas le lecteur indifférent. Une nouvelle passionnante, émouvante et d’une grande justesse.
Nova Verba, Mundus Novus : Une nouvelle qui nous fait suivre une expédition en ballon qui va se rendre compte que le monde est plat, posé sur dos d’éléphants, eux-mêmes sur la carapace d’une tortue (référence à Terry Pratchett) et qui vont descendre puis remonter. On y retrouve les réflexions de l’auteur sur ce qui nous caractérise, avec cette fois en ligne de mire le langage, mais voilà j’ai trouvé le texte peut-être un peu trop court pour vraiment réussir à m’emporter. Les idées sont là, mais je ne sais pas j’avais l’impression qu’il manquait un petit quelque chose. Cela reste tout de même très sympathique à lire.
Faits pour être ensemble : J’avais déjà chronique cette nouvelle ici. Cette nouvelle lecture ne change pas mon point de vue, que ce soit dans ses qualités comme ses défauts.
Emily vous répond : Cette courte nouvelle décide de traiter de la possibilité d’effacer la mémoire, le tout à travers un échange type courrier des lecteurs de certains magazines. Une idée traitée avec un cynisme qui se révèle efficace et percutante, et même si les arguments sont légèrement simplistes elle a parfaitement fonctionné avec moi.
Trajectoire : Cette nouvelle nous fait découvrir la vie d’une jeune femme au parcours chaotique dans un monde en pleine évolution technologique et qui découvre l’immortalité. Un texte percutant et efficace, pas tant par l’aspect technologique, mais plutôt par son côté profond et humain, offrant au lecteur une réflexion ouverte sur la vie, entre ses hauts et ses bas, ses envies et ses pertes. Un texte touchant, bien porté par une héroïne attachante, avec ses forces et ses faiblesses, le tout porté par une plume que j’ai trouvé ici sensible et poétique.
Le Golem au GMS : On retrouve ici une nouvelle un peu plus légère puisqu’on découvre Rebecca, qui est un jour est contacté par Dieu pour une mission capitale, fabriquer un Golem pour attraper 150 rats. Un texte qui m’a fait rire du début à la fin avec une histoire, certes un peu linéaire, mais qui se révèle percutante, pleine d’entrain, mais aussi de finesse à travers les nombreuses réflexions qu’on dévoile que ce soit aussi bien sur la religion comme sur la famille et son importance. Un divertissement réussi qui offre un moment de détente bienvenu au milieu du recueil.
La Peste : Cette nouvelle nous fait suivre la rencontre entre un homme et une jeune fille contaminée dans un monde qui est complètement bouleversé. Un texte sympathique, qui cherche à nous faire réfléchir sur la capacité de communiquer, mais surtout de se comprendre, nous montrant que parfois les drames peuvent simplement survenir d’un manque de tolérance et d’explication. Sauf que voilà même si le texte se laisse lire et se révèle divertissant il m’a paru un peu trop classique dans sa construction.
L’Erreur d’un seul bit : Peut-être le texte qui m’a le moins accroché du recueil, pas qu’il soit mauvais, mais comparé aux autres textes de ce livre il m’a paru clairement un cran en dessous. Sur le fond les idées sont là, cherchant à nous ouvrir une réflexion sur la religion, la foi, le bonheur et la liberté, mais sur la forme j’ai trouvé l’ensemble brouillon avec un démarrage un peu « bordélique », puis une alternance pas toujours percutante. On y retrouve pourtant la qualité de style de l’auteur, mais voilà, je ne sais pas, je n’ai pas complètement réussi à accrocher.
La Ménagerie de papier : Au contraire du texte précédent, cette nouvelle fait partie de celle qui m’a le plus touchée, nous dévoilant la vie de Jack, jeune sino-américain, fils d’une mère dont son père est tombé amoureux sur catalogue et qui en grandissant va se rendre compte de sa différence et la rejeter pour s’intégrer. Un texte vraiment poignant qui fait réfléchir le lecteur aussi bien sur l’adolescence, des difficultés liées au regard des autres quand on grandit, mais aussi sur l’acceptation et le racisme. La plume de l’auteur colle parfaitement bien au texte pour happer le lecteur dès la première, offrant une touche de fantastique des plus originale. Une excellente nouvelle.
Le Livre chez diverses espèces : Un texte vraiment agréable à lire, qui n’est peut-être pas le plus marquant du recueil, mais qui se révèle tout de même efficace, l’auteur offrant ici un large panel sur différents peuples aliens et leurs relations avec le livre. On découvre ainsi une réflexion efficace sur l’importance de la communication à travers le livre et cela quel que soit le format et la façon de l’écrire. On notera aussi, je trouve, une imagination débordante de l’auteur à travers les nombreuses descriptions.
Le Journal intime : Cette nouvelle nous fait rencontrer une femme qui va commencer à ne plus pouvoir lire après avoir eu le journal intime de son mari entre les mains ; les mots s’échappant à chaque fois qu’elle cherche à le faire. De nouveau un texte qui se révèle efficace et abouti, avec comme axe de réflexion la communication, celle entre un mari et une femme qui après des années ne paraissent plus se comprendre, ni vivre pleinement leur couple, le tout à travers une lente plongée dans la folie des plus tendue et captivante.
L’Oracle : Cette nouvelle nous fait découvrir une technologie qui permet de voir, de façon très aléatoire, un moment arbitraire de son avenir. Certes le thème de pouvoir voir l’avenir est connu, mais je trouve que l’auteur s’en sort très bien, nous offrant un texte prenant et qui nous fait réfléchir sur la vie, sa spontanéité et surtout le besoin de la vivre pleinement, sans s’enfermer dans une vision d’avenir qui pourrait se révéler bloquante. De nouveau les personnages sortent du lot, sonnant juste et se révélant soignés, humains.
La Plaideuse : Cette nouvelle nous plonge dans une Chine du passé, où une jeune femme décide de reprendre le rôle de plaideuse laissé vacant suite à la mort de son père, pour sauver une servante accusée de meurtre. Franchement concernant le texte il n’y a pas grand-chose à souligner, l’ensemble est maîtrisée, offrant une enquête policière courte et soignée, mais voilà l’ensemble m’a paru rester très convenu et sans surprises ce qui est dommage je trouve.
Le Peuple de Pélé : Un texte qui nous plonge en pleine conquête spatiale avec l’arrivée d’un vaisseau colonisateur humain sur la planète de Pelé. Un texte surprenant qui cherche à nous offrir des réflexions sur la vie tout en nous offrant un contexte politique des plus fascinant puisqu’il y a un décalage de 28 ans entre les deux planètes. À partir de là comment pleinement obéir à des ordres qui ont plusieurs années. Comme je l’ai on réfléchit aussi sur le principe de la vie puisque la révélation sur le peuple de Pelé va se révéler captivante, même si c’est vrai déjà traité aussi dans d’autres textes d’autres auteurs. Au final un texte bien rythmé et qui offre un très bon moment de lecture
Mono no aware : J’ai déjà chroniqué cette nouvelle lors de ma lecture d’un Galaxie(s) et dont vous pouvez retrouver ma chronique ici.
La Forme de la pensée : Cette nouvelle nous dévoile le premier contact entre des humains et une race extra-terrestre qui n’est pas sans rappeler certaines colonisations de notre passé, dévoilant une incapacité à communiquer et à se comprendre face à la différence et l’incompréhension. Un texte qui nous montre aussi l’importance du passé et de l’Histoire dans sa façon de voir la vie et les changements. Il s’agit aussi clairement d’un texte d’espoir et de sentiments qui a clairement réussi à me happer.
Les Vagues : Avec ce texte l’auteur reprendre l’idée déjà développé dans Trajectoire concernant l’immortalité, mais le tout traité de façon complètement différente en offrant ainsi une réflexion plus importante sur par exemple notre évolution, ou encore notre capacité à accepter le changement, sur fond de mythes et de légendes sur la création. L’auteur n’oublie pas pour autant le côté humain qui est toujours présent et efficace. Un très joli texte qui ne manque pas d’attrait et d’intérêt.
Ce recueil de nouvelles confirme tout le bien que je pensais de Ken Liu et me donne clairement envie de découvrir d’autres de ses textes, voir pourquoi pas de ses romans. Ce qui marque, je trouve, c’est sa capacité à ne pas se figer dans un genre tout en offrant des histoires qui se révèlent profondément humaines et sensibles, n’oubliant pas pour autant de faire réfléchir le lecteur et d’offrir un background solide, soigné jusque dans les moindres détails, le tout parfois en quelques pages à peine. Alors certes, tous les textes ne m’ont pas touché de la même façon et un ou deux m’ont même paru un cran en dessous, mais franchement rien de dérangeant tant j’ai apprécié la lecture de ce livre.
En Résumé : J’ai passé un très bon moment de lecture avec ce recueil de 19 nouvelles qui nous propose de découvrir des textes soignés et percutants qui font réfléchir, le tout à travers des personnages sensibles, touchants et dans un background qui se révèle travaillé. Alors certes, toutes les histoires ne sont peut-être pas au même niveau, mais cela n’enlève en rien des nombreuses qualités que possède ce recueil et que je ne peux que conseiller de lire, si vous appréciez les Nouvelles, surtout que l’auteur ne reste jamais figé dans un seul genre, ce qui permet de varier clairement les univers. En tout cas de mon côté je lirai sans soucis d’autres écrits de Ken Liu et pourquoi pas un de ses romans.
Ma Note : 8,5/10
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