Résumé : Cap vers les lointaines îles du Nord, à la recherche de la légendaire cité d’An-Kirilnar, réputée pour flotter au-dessus des eaux. Mais cette quête impossible en vaut-elle la peine ? Est-elle digne des trois parias héroïques, Ringil, Egar et Archeth, bien décidés à se réapproprier leur destin ? Dans les îles grises et désolées, le mystère s’épaissit : on murmure que la tombe du changeling est partout et nulle part. Tout comme la fantomatique ville d’An-Kirilnar…
Edition : Bragelonne
Mon Avis : Il y a maintenant quelques années, je me suis lancé dans cette trilogie de Fantasy. Richard Morgan n’est pas un inconnu car, avant de se lancer dans ce cycle, il a écrit la trilogie sur Takeshi Kovacs (qui devrait d’ailleurs être adapté à la TV) ainsi que Black Man, qui m’avaient offert de très bons moments de lecture. Son lancement dans la Fantasy avec ce Terre de Héros, ne m’a pour l’instant pas autant convaincu. L’ensemble reste assez bon, mais je n’y retrouve pas le succès que je lui ai trouvé en SF tant l’auteur cherchait à trop en faire (ma chronique du Tome 1, du Tome 2). Concernant la couverture, toujours illustrée par Jon Sullivan, elle reste dans les mêmes tons que les précédentes et s’avère sympathique.
Ce troisième tome nous plonge ainsi quelques mois après la fin du précédent, nos héros s’étant lancé dans une grande quête pour trouver la tombe du Changeling ainsi que la cité Kiriath. Sauf que voilà, rien ne se passe comme prévues tant les reliques paraissent introuvables et les relations entre l’Empire et Le Ligue sont en train de se refroidir. Déjà, premier point, replonger dans cet univers longtemps après ma lecture des deux premiers tomes c’est finalement révélé assez facile. Ceci est en grande partie dû à la capacité de l’auteur a nous immerger aisément dans son récit, tout en offrant des rappels des tomes précédents qui sont les bienvenus et sont très bien amenés restant brefs et ne se révélant pas trop lourd ou trop long, surtout pour ceux qui liraient les trois romans à la suite. Ensuite, pour situer l’ensemble pour ceux qui n’auraient pas lu ce cycle, l’auteur nous propose un roman de Fantasy très sombre, violente, épique et dont l’auteur cherche à casser les codes pour proposer quelque chose de différent. Le cycle étant maintenant terminé on peut donc faire le bilan de cette envie de changement et, je dois bien avouer, j’ai trouvé cette trilogie plutôt bonne.
Alors clairement, elle n’est pas non plus parfaite possédant tout de même quelques défauts, comme la proportion de l’auteur dans les premiers tomes à trop vouloir en faire, à tomber dans quelques longueurs voir dans des scènes inutiles. Concernant ce troisième tome, je l’ai trouvé encore un chouïa plus abouti que le précédent tant il faut dire que toutes les pièces se mettent maintenant en place, les révélations se font et dévoilent le puzzle sur cet univers et les manipulations qui s’y organisent. La narration mise en place permet ainsi de suivre deux « quêtes » celle de Ringil, mais aussi celle de Egar le tueur de Dragon et Archeth permettant ainsi de croiser les récits évitant, je trouve, les « trous d’air ». De cette façon quand les passages sont plus explicatifs pour l’une, l’autre offre des moments plus nerveux, ce qui fait, je trouve, qu’on tourne assez facilement les pages pour en apprendre plus sans jamais s’ennuyer. Attention, ce roman n’est en rien non plus un récit totalement épique et bourré de combats, il sait prendre son temps quand il faut pour poser son intrigue, son univers et ses héros, mais il possède un rythme que j’ai trouvé entraînant. L’auteur donne clairement l’impression sur sa trilogie de prendre les « clichés » de la Fantasy (dragons, sorciers, épées magiques, élus, …) et de vouloir leur offrir une voie complètement différente. J’avoue qu’il le réussie en grande partie, je ne dis pas qu’il nous offre que des idées révolutionnaires et originales, d’autres ont déjà offerts ce genre d’idées, mais voilà ce cycle est clairement différent de ce qui se fait, je trouve, en Fantasy actuellement. Je répète, il n’est pas le seul, ne vous lancez pas dans ce cycle en vous disant que ça va complètement bouleverser votre vision du genre non plus, mais avec tout de même de bonnes idées.
Pour l’univers on retrouve ce qui faisait la force des deux premiers tome, ce monde sombre, brutal, sauvage, violent, où il faut se battre pour gagner sa place. L’auteur continue aussi à tenter de nous offrir quelque-chose qui mélange les genres entre Fantasy, fantastique, SF, on découvre ainsi un monde qui surprend, dérange et ne se laisse pas appréhender si facilement, l’auteur s’amusant à nous en offrir les clés au compte goutte. Surtout que c’est dans ce troisième tome qu’il se dévoile enfin, qu’on en apprend alors plus sur les dieux de la cour sombre, sur la source, sur les Dwendas ou bien aussi sur les Kiriath qui ont perdu de leur superbe, se révélant eux aussi ambigu dans les choix qu’ils ont fait. Les terres grises deviennent aussi plus familières au fil des pages. Ce mélange est, pour moi, l’un des gros points fort du roman, lui permettant d’offrir quelque chose de captivant et, d’une certaine façon, accrocheur. Alors après il n’est pas l’univers le plus novateur qui soit dans le genre, même s’il possède de quelques concepts que j’ai trouvé originaux, mais voilà l’auteur nous propose tellement d’idées et les rend tellement percutantes que j’ai rapidement accroché. Le tout aboutissant à un final explosif, aux réponses surprenantes. Les enjeux politiques de chacun prennent aussi de l’ampleur, dévoilant des schémas complexes, denses et intrigants, où chacun possède sa propre vision et surtout ses propres convictions. Après on pourrait reprocher à l’auteur un aspect un peu minimaliste dans la « peinture » de son monde, le travail de description est assez minimaliste, posant le décor souvent sombre et angoissant, mais n’allant pas obligatoirement plus loin. Si vous aimez la Fantasy pour ses cartes et ses descriptions, ici vous risquez d’être déçu.
Concernant les personnages, on y retrouve là aussi la patte de l’auteur, principalement dans la construction de héros où y voit toujours autant cette grandeur et cette décadence. Chacun d’entre eux marque le lecteur par leurs ambivalences, leurs nostalgies, leurs mélancolies, leurs charismes, leurs forces, leurs faiblesses. Il est très difficile de les caractériser, tant ils savent à la fois s’imposer et se faire haïr par leurs actes, allant de l’héroïque aux actes les plus excessifs possibles, le tout poussé très loin. Que ce soit Ringil, notre héros blasé qui sait qu’il ne sera jamais rien d’autre qu’un guerrier, ne sachant rien faire d’autre et qui se plonge à corps et à cris dans cette quête où il est manipulé par tous, Egar le tueur de Dragon qui ne reconnait plus ce monde où les traditions et l’honneur se perd, ou bien encore Archeth, moitié Kiriath, abandonnée par eux qui se morfond sur elle-même mais qui va trouver ici une quête et une échappatoire. Chacun cherche la meilleure conclusion à son histoire et ils risquent de la trouver. Que ce soit les personnages principaux ou secondaires il est impossible de complètement les détester, tant on peut comprendre leurs motivations, ne tombant ainsi jamais dans le héros immaculé ou le méchant très méchant. Je suis par contre légèrement frustré que certains personnages découverts dans les tomes précédent ne soient que très peu présents dans ce dernier tome, ou que certains ne soient pas plus développés, mais bon rien de bien gênant.
Après avoir lu tout ça vous pourriez croire que ce roman est excellent, pourtant des points m’ont tout de même dérangé. Déjà, si vous avez lu mes chroniques des tomes précédents, vous savez que l’auteur cherchait par moment à trop en faire laissant de côté son intrigue pour le côté rude et percutant. Je ne sais pas si l’auteur s’en est rendu compte ou si c’était prévu comme cela initialement, mais ce troisième tome a l’effet inverse, l’auteur offre beaucoup trop de révélations sur son intrigue. J’ai eu parfois l’impression que cette densité offrait à l’ensemble un côté un peu brouillon et surtout certaines paraissent ne pas aboutir. Ce n’est pas bloquant mais une gestion des révélations sur la durée des trois tomes aurait franchement rendu l’ensemble plus fluide. Ensuite, comme je l’ai dit, l’auteur sépare son intrigue en deux qui forment deux « histoires » qui ne se rejoignent pas vraiment et même si les deux sont intéressantes j’ai trouvé que celle sur Ringil accroche plus et éclipse même parfois l’autre fil rouge. Surtout que la fin concernant Archetch reste très ouverte, c’est à chacun de se faire sa propre conclusion. J’adore les fins ouvertes, je considère qu’une conclusion ne peut jamais en être une, mais cela pourra en surprendre plus d’un. Autre point, le récit possède quelques longueurs qui se font ressentir et il use parfois de simplicité. Enfin, aspect qui se retrouve dans les trois tomes et dont je n’avais pas encore parlé, la proportion parfois un peu exagéré de l’auteur de tomber dans le « graveleux ». Je ne parle pas des scènes de sexe directes, dont l’auteur c’est un peu calmé ici, mais plus des dialogues ou les insultes qui fusent un peu trop facilement. Rien de non plus trop dérangeant je dirais, mais il faut le savoir. Je vais quand même m’arrêter là dans ma chronique, sinon on n’est pas sorti.
La plume de l’auteur est toujours aussi brutale, incisive, captivante et nous emporte aisément dans ce troisième tome. Alors je pense clairement que ma lecture des trois tomes sur plus de trois ans (j’avais relu le premier à la sortie du second), fait que j’ai pu passer à côté de certains points tant ce dernier tome vient remettre en perspective les deux premiers. Il faudrait sûrement un jour que je relise les trois d’affilés. Maintenant, concernant le cycle, est-ce que Richard Morgan a réussi son pari d’offrir quelque chose de différent? Je dirai oui et non, oui car les idées sont là, l’auteur les développe de façon très intéressantes et efficaces même si parfois mal amenés et que les personnages sont plus que convaincants dans leurs rôles désabusés, en partie non car l’auteur en fait trop, ayant sûrement cette idée en tête que la Fantasy est trop « gentille » et que donc il fallait aller à l’inverse, tombant un peu trop dans la facilité et le gratuit. Au final j’ai bien aimé ce troisième tome ainsi que le cycle dans son ensemble, mais selon moi il aurait pu être encore plus que cela.
En Résumé : J’ai passé un bon moment de lecture avec ce troisième qui, je trouve, est le plus abouti de la trilogie. On y retrouve cette intrigue sombre, violente, qui dévoile enfin toutes ses manipulations et ses trahisons et nous happe assez facilement. L’ensemble est bien porté par un rythme plutôt efficace qui, sans non plus se diriger vers l’action à tout va, offre quelques passages héroïques et flamboyants tout en développant une histoire pleine de surprises. L’auteur continue à développer son univers s’avérant toujours aussi noir et percutant et surtout mélange de genres qui le rend différent. Les personnages sont franchement fascinants à découvrir, loin de tout manichéismes, oscillant entre héros charismatiques et enfoirés de premières, bien porté par des personnages secondaires intéressants. Chacun cherche ainsi à se retrouver, se découvrir. Je regrette par contre que certains ne soient pas plus développés. Alors après tout n’est pas parfait, l’auteur en fait peut-être un peu trop dans les révélations ce qui rend parfois certains passages brouillons ou tombant à plat, les deux histoires n’ont pas, je trouve, le même impact sur le lecteur et en plus gardent une fin très ouverte qui pourrait en déranger plus d’un. De plus quelques longueurs se font ressentir et l’auteur abuse parfois un peu du langage familier. Rien de non plus complètement bloquant, mais qui empêche la lecture d’offrir tout son potentiel. La plume de l’auteur est incisive; fluide et prenante et happe assez facilement le lecteur. Au final un bon troisième tome qui vient clôturer ce cycle de façon efficace j’ai trouvé.
Ma Note : 7,5/10