Résumé : India Morgan Phelps est schizophrène. Elle a de qui tenir, puisque sa mère et sa grand-mère souffraient toutes les deux de troubles mentaux et ont mis fin à leurs jours. Les médicaments l’aident à garder un semblant de contrôle et pour tenter de comprendre les événements qui ont bouleversés sa vie, elle entreprend de rédiger un récit autobiographique, qui va curieusement prendre la forme d’une histoire de fantômes. C’est le meilleur moyen qu’elle a trouvé pour faire partager ce qui la hante… Car India semble obsédée par sa rencontre avec Eva Canning, une femme qui ressemble trait pour trait au tableau qui l’obnubile depuis son enfance, La fille qui se noie. Elle a déjà vu Eva par le passé, sous la forme d’un fantôme d’un loup-garou… A moins qu’elle ne l’ait jamais vu. Qui sait ce que sa schizophrénie lui fait voir ?
Edition : Eclipse
Mon Avis : Le fantastique fait partie des genres qui me passionnent toujours. C’est bien simple mes premières lectures qui m’ont marqué dans l’imaginaire viennent initialement d’auteurs de fantastique avant la SF ou la Fantasy. C’est donc sans surprise que j’ai l’habitude de me pencher sur les quelques sorties qui apparaissent ponctuellement en Librairie. Je me suis donc retrouvé avec ce livre entre les mains, qui m’a rapidement donné envie de le découvrir, déjà par sa couverture que je trouve assez hypnotique et aussi par son résumé offrant une histoire intrigante entre fantômes et folie.
Ce livre nous propose de découvrir alors le journal d’India Morgan Phelps, plus communément appelée Imp, qu’elle commence à écrire suite à plusieurs bouleversements dans sa vie, dont sa fameuse rencontre avec Eva Canning, possible fantôme. Mais voilà elle est différente, elle est schizophrène. Et c’est justement là, je trouve, que se situe la grande force du récit, la façon dont l’auteur va nous immerger dans l’esprit d’Imp, à nous faire découvrir sa maladie et ses différentes manifestations qui viennent régulièrement la déranger. C’est là-dessus que l’auteur offre un énorme travail, adaptant la plume de son personnage en fonction de ses différents changements et de ses différents symptômes, ainsi que ses différents troubles qui apparaissent au fur et à mesure du récit passant de la première à la troisième personne, allant du récit au dialogue avec elle-même. Il y apparait quelque chose de vraiment fascinant à suivre ainsi l’esprit de l’héroïne, sa façon de rationaliser sa vie et chercher à en trouver la clé, à en comprendre les méandres labyrinthiques. Surtout que l’ensemble donne vraiment l’impression de ne jamais tomber dans la caricature, ni vouloir simplement offrir le personnage d’une folle, ce qui est une bonne chose. Elle nous propose plus de découvrir une maladie, avec ses symptômes, sa vision déformée de ce qui l’entoure, de sa vie pas toujours facile et le tout de façon vraiment convaincante, la rendant finalement humaine.
Vient aussi s’ajouter au récit une légère couche de fantastique qui finalement va s’accorder parfaitement à Imp, lui offrir une nuance de mystère supplémentaire. Un fantastique trouble, oscillant entre réalité, mensonge et rêve. La maladie de l’héroïne rend, finalement, ce fantastique plus poignant avec cette incapacité au lecteur à déterminer s’il s’agit d’imagination, due à ses nombreuses obsessions sur les sirènes et le petit chaperon rouge, ou bien s’il y a un fond de vrai dans ce qu’elle voit et ce qu’elle vit avec Eva Canning. Le récit apporte lentement des réponses mais s’amuse à maintenir toujours une phases de doute, ce que j’apprécie, laissant ainsi chacune se faire ses propres choix, ses propres idées et son propre avis. Surtout que l’auteur y ajoute un véritable travail sur l’art et plus principalement la peinture, sur des artistes torturés et des tableaux déroutant, qui permettent d’y ajouter une sorte d’ambiance stressante et un minimum angoissante, ce qui, je trouve, apporte un plus à l’ensemble. On sent que rien n’est laissé au hasard à travers de nombreuses références et un soucis du détail efficace. L’univers de la vie d’Imp est ainsi déroutant, troublant mais clairement entrainant.
Concernant les personnages, je me suis finalement très rapidement attaché à India, jeune fille qui connait sa maladie qui est héréditaire, qui est suivie, prend un traitement et qui vit une vie plutôt normale, avec ses obsessions, ses envies, ses besoins, sa sexualité, sa « banalité ». La vie. Elle se révèle ainsi être finalement terriblement humaine, avec ses forces et ses faiblesses qu’elle ne maitrise pas toujours et une fragilité qui la rend instable et donne envie de la protéger. Une héroïne touchante même dans ses phases les plus sombres. Sa relation avec Abaylin ajoute aussi une profondeur supplémentaire au personnage, représentée au fur et à mesure comme un roc auquel s’accrocher, qui doit lui permettre de ne pas se noyer, mais qui finalement va aussi jouer un rôle dans sa lente plongée en abyme. Abaylin est d’ailleurs elle aussi un personnage complexe, transsexuelle rejetée par certains de ses amis et de sa famille, qui se cherche aussi une vie a peu près normal, sans non plus trop devoir s’investir socialement, et qui se révèle elle-même ambiguë à travers différents mensonges qu’elle parsème, comme n’importe qui finalement, pour essayer de se magnifier voir d’accrocher Imp. Les deux héroïnes ne manquent pas d’intérêt, offrent aussi de nombreuses réflexions sur l’acceptation et la différence et se révèlent finalement captivantes.
Mais voilà ce roman est aussi un roman qui peut facilement déconcerter et perdre le lecteur. Comme je l’ai dit on ne rentre pas dans ce roman comme dans une histoire classique et tracée. L’histoire racontée par India est lié par sa maladie, ce qui fait qu’elle part dans tous les sens, garde des informations par devers elle, ne se sentant pas encore prête d’en parler, possède parfois une sorte de fascination pour les chiffres et, selon son traitement, offre aussi dans certains passages remplies de folies. Ce n’est donc pas un livre avec une histoire linéaire, début, milieu, conclusion avec des informations précises et concrètes, c’est un récit qui demande de se laisser porter et de garder l’esprit ouvert. Ce qui n’a pas non plus empêché certains passages de me dérouter, de me perdre dans la conscience d’Imp, ce qui fait que j’ai parfois légèrement eu du mal à retrouver le fil. Rien de bien gênant mais qui surprend. De plus l’auteur aime à garder son récit ouvert, logique la vie n’a pas de conclusion, elle continue quoi qu’il arrive, ce que je trouve fascinant, mais qui, je pense, peut en rebuter plus d’un.
La plume de l’auteur se révèle vraiment soignée, efficace et entrainante, jouant avec les différents styles et écritures pour mieux nous faire découvrir Imp, y ajoutant ainsi aussi deux nouvelles, imbriquées dans le récit, qui je trouve apporte quelque chose de vraiment intéressant. Mon seul petit regret c’est d’avoir vu Neil Gaiman en citation sur la couverture, parlant de poétesse, j’attendais donc quelque chose de peut-être plus poétique, mais rien de non plus bloquant ou gênant. Au final on retrouve ici un roman complexe, qui oscille entre réalité et folie, qui ne plaira sûrement pas à tout le monde, mais qui m’a offert un très bon moment de lecture assez surprenant. Je lirai sans soucis d’autres écrits de l’auteur.
En Résumé : J’ai passé un très bon moment de lecture avec ce roman qui nous propose de plonger dans l’esprit d’India Morgan Phelps qui est schizophrène et qui se met a voir des fantômes. Un journal finalement assez déroutant, mais d’une certaine façon fascinant, bien porté par un travail stylistique captivant, réussi et troublant, ainsi qu’une plume vraiment efficace. L’aspect fantastique s’amuse avec le lecteur, oscillant entre réalité, mensonge et rêve pour mieux surprendre au fil des pages et apporter une ambiance légèrement angoissante. Je me suis retrouvé rapidement happé par ce récit, même si je me doute bien qu’il ne plaira pas à tout le monde, justement par cet aspect où l’héroïne part dans tous les sens, offre des informations parcellaires ou encore sombre dans certaines fascinations et certains troubles. Ce n’est clairement pas un roman linéaire, il faut se laisser porter et emporter par la psyché de Imp même si, j’avoue, parfois je m’y suis quand même perdue. Un récit sur la maladie, la différence qui ne tombe pas dans la caricature, traitant de façon efficace cette différence et le tout avec des personnages poignants et attachants. La conclusion ouverte peut dérouter certains, mais je l’ai trouvé réussie. Je lirai avec plaisirs d’autres livres de l’auteur.
Ma Note : 8/10